« Où allez-vous
chercher tout ça ?...» |
par Juliette Benzoni
Depuis la trentaine d'années que j'encombre
les rayons des libraires, j'ai entendu cette
question des centaines, peut-être même des
milliers de fois, posée avec gentillesse par
les lecteurs rencontrés au hasard d'une
signature ou d'un salon, avec une vague
méfiance par mes amis et avec une franche
inquiétude par ma famille qui pourrait bien
avoir tendance à me considérer comme une
erreur de la nature. Et, au fond, n'ayant
guère le sens de la repartie, je n'ai jamais
été capable d'y répondre intelligemment,
c'est-à-dire autrement qu'en riant bêtement
ou en lançant une phrase aussi lapidaire
que: « Je ne sais pas
» ou
encore: « Ça vient tout seul
»...
En fait, ce n'est pas tout à fait vrai mais comment expliquer sans
se lancer dans de longues digressions
génératrices d'ennui - ce que je
redoute le plus au monde sans l'avoir jamais
connu le lent cheminement des idées et des
coups de cœur qui finissent par composer ce
que l'on appelle un roman?
Pour moi, au commencement était l'Histoire.
Je l'ai rencontrée lorsqu'en classe de 9º
j'ai reçu le premier livre qui en traitait.
A l'époque, les enfants ne bénéficiaient pas
d'ouvrages admirablement présentés, avec des
illustrations en couleurs et de nombreux
documents photographiques. Celui-là
s'enjolivait seulement de quelques dessins
« au
trait » mais il s'est trouvé qu'en l'ouvrant
mes yeux sont tombés sur ce que l'on
pourrait appeler même maintenant une image
forte, une jeune femme vêtue de blanc liée
par des chaînes sur un tas de bois auquel un
homme était en train de mettre le feu. Cette
figure, à la fois sublime et naïve, m'est
entrée dans l'esprit en même temps que dans
le cœur. J'ai voulu en savoir plus et, très
vite, suis devenue
« bonne
» en histoire, et aussi en français parce
que j'ai toujours aimé la musique des mots
et les belles sonorités de notre langue. Ce
qui m'a tirée d'affaire au bac, en dépit
d'une quasi-nullité en maths, mais alors que
je contemplais Jeanne d'Arc au bûcher je
n'aurais jamais osé imaginer que bien des
années plus tard, c'est elle que je
reviendrais chercher pour apporter à sa
cathédrale de lumière ma petite pierre
d'admiration en osant faire d'elle «
Catherine », l'un des grands personnages de
mon premier roman historique; cette
Catherine qui fut aussi ma mascotte.
Deuxième choc, reçu un an après environ:
Les Trois Mousquetaires dévorés avec
l'appétit d'un haut fourneau. Tout Dumas y
est passé ensuite, presque sans respirer.
Déjà marquée par ce « vice impuni » de
lecture, je portais aussi en moi cette
passion de l'Histoire que je garderai
jusqu'à ce que mort s'ensuive. Et peut-être
même au-delà. J'ai souvent pensé qu'il
serait bien agréable de connaître le fin mot
sur l'affaire du Masque de fer et celle de
Louis XVII à qui je dois quelques insomnies.
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Des romans nés
d'un coup de cœur... |
Mon cas était donc sans espoir lorsqu'une
troisième rencontre est intervenue. Je
devais avoir quatorze ou quinze ans lorsque
André Chamson, alors
conservateur du Petit Palais, organisa l'une
des plus fabuleuses expositions de
peinture que j'aie jamais vues: l'Art
italien qui draina jusqu'aux bords de la
Seine les plus grands chefs - d'œuvre pouvant
raisonnablement être décrochés des cimaises
ou des palais et voyager sans trop de
risques. Cela débutait avec Cimabue. J'ai dû
visiter ce fantastique rassemblement une
grosse douzaine de fois, fascinée, éblouie
et si, par la suite je me suis souvent
rendue en Italie je n'ai jamais pu, même sur
place, oublier cette première extase et je
ne crains pas d'affirmer que La
Florentine est née, tant d'années après
grâce à M. André Chamson...
En fait, chacun de mes romans est né
d'un coup de cœur. Au cours des dix
années que j'ai vécues à Dijon, je me
suis passionnée pour l'histoire des ducs
de Bourgogne avec un petit plus pour la
légende de la Toison d'Or et les
fulgurances shakespeariennes du
Téméraire. Quand le temps de
l'écriture est venu pour moi, l'image du
duc Philippe a rejoint tout
naturellement Jeanne d'Arc, avec tous
les personnages qui les entouraient pour
composer les sept volumes de Catherine.
Le Gerfaut est né de l'attrait
qu'exerce sur moi la Bretagne, de la
légende célèbre de la mariée enterrée
vivante de Trecesson, de celles
flottant comme des brumes sur les tours
en ruine de La Hunaudaye, d'un
intérêt plus que vif pour les Insurgent
de la guerre d'Indépendance américaine
et les Français qui les ont aidés, enfin
des problèmes créés par la bâtardise à
un garçon décidé à s'en sortir à tout
prix. Les hasards d'un pèlerinage à
Compostelle, au XII siècle m'ont jetée
sur «Un aussi long chemin...». D'autres
légendes - j'ai un faible pour elles! -
jointes à l'héroïque aventure des Trois
Glorieuses, à un grand attachement à
Delacroix - toujours la peinture! -à
l'auréole douloureuse de l'Aiglon ont
fait surgir, si bizarre que cela puisse
paraître, Les Loups de Lauzargues
tous poils dressés de leurs forêts
auvergnates. Et si Marianne, en
dépit d'une évidente sympathie pour
Napoléon, ne m'a vraiment attachée que
sur le tard c'est tout simplement parce
qu'il s'agissait d'exaucer un désir de
mon éditeur souhaitant célébrer à sa
façon le Bicentenaire de l'Empereur.
Cela n'a d'ailleurs pas tellement bien
marché au début étant donné la quantité
de livres qui ont peint en vert Empire
avec abeilles d'or les vitrines de
toutes les librairies grandes ou
petites... Une erreur que je me suis
bien gardée de répéter lorsque se sont
annoncés les tambours, les festivités et
autres commémorations de 1789 et si,
comme tout le monde ou presque, j'ai
dans mes tiroirs, une idée et un plan
traitant de cette terrible époque, j'ai
bien l'intention de les y laisser dormir
une bonne dizaine d'années. Les
indigestions sont parfois longues à
guérir...
Les Dames du Méditerranée-Express
viennent de loin, elles aussi. Même si,
changeant d'éditeur, j'ai choisi un ton
et un style un peu différents, La
Jeune Mariée est le premier des
quarante livres écrits jusqu'à présent
où j'ai inclus quelques souvenirs
d'enfance transposés dans ce tout début
du XX siècle qui vit celle de mes
parents et la jeunesse de mes
grands-parents. Flaubert disait « Madame
Bovary c'est moi »; pourtant je ne me
reconnais pas dans Catherine, ni
dans Marianne, ni dans
Marjolaine, ni dans Hortense
ou Félicia et moins encore dans
Fiora. A l'exception peut-être
d'un goût certain pour la bonne cuisine
et les grands crus qui faisait soupirer
à Marion Sarraut, réalisateur de
toutes mes séries télévisées: « On
devrait appeler ça Catherine Trois
Étoiles au Michelin! »
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Une manie
Ferroviare |
Parmi tous les moyens de
locomotion que les temps modernes ont mis à
notre disposition, j'ai toujours eu un faible
pour le train à cause du loisir qu'il accorde et
de la possibilité de contempler le paysage. Les
anciens trains surtout, ceux à compartiments,
qui offraient parfois un agréable compagnonnage
et permettaient d'aller fumer une cigarette dans
le couloir, déjeuner ou diner au
wagon-restaurant et, sur un plan plus général,
de se dégourdir les jambes. L'avion que j'ai
pris, cependant, et prends encore bien souvent,
ne m'a jamais enchantée bien que je ne le
craigne pas. Avec lui, on ne se sent pas
voyager, sans compter que s'il est indispensable
pour les longues distances, il compense cette
commodité par les désagréments du décalage
horaire. Et si j'aime plus que tout le bateau
sous toutes ses formes, je reconnais volontiers
qu'à notre époque, trois semaines pour aller aux
Indes, c'est un peu long...
Donc, le train! Et puisque nous en sommes
aux confidences je vais vous dire comment il
a joué, bien innocemment, un grand rôle dans
ma vie. Durant les quatre années qui ont
précédé la dernière guerre enfin celle qui
était jusqu'à présent la dernière! je
passais, en septembre, quelques jours de
vacances à Dijon chez une amie de collège
dont la grand-mère y possédait une grande
propriété. Or, cette amie avait deux frères
aînés dont l'un manifestait pour les chemins
de fer une véritable passion qui
l'entraînait assez souvent, vers minuit, à
la gare de Dijon pour y voir passer les
grands express européens et rêver devant les
wagons derrière les rideaux desquels on
apercevait des reflets adoucis par des
abat-jour de soie rose et parfois des
personnages dont on essayait d'imaginer la
vie. Étant presque aussi intéressées que
lui, nous l'avons souvent accompagné, sa
sœur et moi, toujours avec le même plaisir.
Le Simplon-Orient-Express était notre favori
et je garde très présent le souvenir de ces
heures passées dans les courants d'air et si
je n'ai épousé ni l'un ni l'autre de ces
garçons, je me suis tout de même mariée à
Dijon, avec leur meilleur ami, un jeune
médecin. Pendant dix ans j'ai vécu pas
tellement loin de cette gare que j'aimais
tant et dans laquelle je me suis bien
souvent embarquée pour des destinations
variées. Ma fille a hérité quelque peu de ma
manie ferroviaire...
Néanmoins, attirée de préférence par ce que Maurice Toesca
appelle si joliment: « Le Bruit lointain du
Temps »
je n'ai pas songé, pendant longtemps à
écrire sur le thème des chemins de fer. Pour
réveiller mes démons assoupis il a fallu que
mon ami
Jean des Cars fasse paraître son
charmant Sleeping Story et, surtout
ses trois fabuleux ouvrages, concoctés avec
Jean-Paul Caracalla, qui ont pour
titres: L'Orient-Express, Le Transsibérien
et Le Train Bleu. J'ai passé des
heures à les lire et à en contempler les
belles illustrations. Cette fois j'étais
bien reprise par mes vieux rêves.
Naturellement, le premier train auquel j'ai pensé était la grande
ligne qui rejoignait Istanbul mais
Pierre-Jean Remy avait écrit sur elle et
de belle façon ainsi qu'Agatha Christie.
Et puis, je voulais me promener dans les
premières années de mon siècle pour que mes
héros puissent bénéficier, enfin, du confort
moderne. Un premier nom m'est venu à
l'esprit: le Riviera-Express. Cela
sonnait bien mais ne faisait pas mon affaire
ce train-là partait de Berlin et ne
rejoignait les lignes de la Côte d'Azur qu'à
Lyon. J'ai donc choisi le « bon vieux
Méditerranée-Express
» et,
l'imagination venant à mon secours, je l'ai
peuplé de voyageurs qui, je l'espère,
sauront séduire et attacher tous ceux qui me
lisent depuis si longtemps. D'autant qu'il y
a un fond de réalité ainsi d'ailleurs que
plusieurs liens dans la trilogie que
composent La Jeune Mariée, La
Fière Américaine et La Princesse
mandchoue.
En résumé, la « recette » que j'utilise
est assez simple: il s'agit d'étudier à fond
une période historique avec tous les détails
y afférents sans oublier la mode et la
cuisine. Faire une chronologie serrée,
semaine par semaine et jour par jour si
c'est possible et puis introduire sur ce
fond bien construit des personnages que l'on
s'efforce de rendre attachants et capables
de donner la réplique aux grandes figures
qui les entourent et qui, bien sûr, ne sont
pas toujours d'un maniement facile.
Cependant, il est une chose que je tiens à
dire en dehors de la joie d'écrire qui m'est
devenue indispensable, le travail de
documentation est celui qui me donne le plus
de bonheur. La femme, tout le monde sait
cela, est un animal essentiellement curieux.
A tous les sens du terme.
Alors, où vais-je chercher tout cela? Mais dans l'Histoire bien sûr
! En y ajoutant tout de même une petite dose
d'imagination...
ℐuliette
ℬENZONI
P.S. J'allais oublier de vous dire que,
comme Mélanie, j'ai été une élève du
cours Désir, dans les petites classes,
et que le mini-scandale de l'Opéra fait
partie de mes exploits personnels.
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Bonne lecture!
photo © Louis Monier / Genesis © France
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